On essaye de saisir les composantes qui ont constitué l'amour de Naguib Mahfouz pour l'Histoire et la religion. En fait, son environnement a joué un rôle remarquable dans sa formation cognitive et émotionnelle. Né à El-Gamaliya, quartier à la fois historique et religieux, l'enfant Naguib s'est mis à observer tout ce qui distinguait cette région. Il avait l'habitude "de voir le minaret de la mosquée d'El-Hussein, avant de descendre dans la rue et de [se] trouver entouré de cette architecture ancienne." Aussi y a-t-il connu le palais Mussafir khana, la maison Souheimi et la maison Chamseddine. Dans ce quartier bâti par Badr El-Gamal, l'enfant âgé de huit ans, se trouvant derrière le moucharabieh de sa maison, a de même "vu naître la Révolution de 1919." Il est donc naturel que ce quartier occupe une place considérable dans l'œuvre romanesque de Mahfouz au point qu'il y devient un personnage principal.
La formation du petit Naguib remonte non seulement à l'environnement, mais aussi à la mère qui l'a influencé d'une manière remarquable. Il se trouvait face à face avec elle, particulièrement après le décès de son père et le travail de ses grands frères qui restaient longtemps hors de la maison. C'est elle qui l'a aidé à découvrir le monde extérieur et l'histoire de son pays. L'auteur nous dit: "Ma mère avait la passion des antiquités et, me tirant par la main, elle m'emmenait très souvent visiter le Musée du Caire." Dévote, elle a cultivé dans son fils des valeurs nobles, surtout le respect d'autres religions. Elle l'emmenait à des lieux coptes comme l'Eglise Suspendue et celle de Mar Girgis.
Les lectures de Mahfouz ont de même contribué à constituer son amour pour l'Histoire, et particulièrement celle de l'Egypte ancienne. Rappelons qu'au début de sa jeunesse, il a traduit en arabe un livre écrit par James Baikie, traduction publiée en 1932. Mahfouz, lui-même, nous dit: "Durant mes études secondaires, je m'étais lancé dans une traduction de l'Egypte ancienne de James Baikie, dans le but de parfaire mon vocabulaire. Puis je l'avais adressée à Salama Moussa afin qu'il la fît paraître en feuilleton."
Influencé par le mouvement nationaliste, Mahfouz a décidé d'écrire une série de romans pharaoniques ayant pour but d'enthousiasmer ses compatriotes, les comparant à leurs ancêtres, vainqueurs et majestueux. Il a mis son talent au service de ce genre en vue de restaurer le passé et transporter ses lecteurs dans un autre univers; il s'agit de l'Egypte ancienne, source de la civilisation et inventrice de l'alphabet. Pour lui, sa réécriture romanesque de l'histoire de son pays est "un désir de connaître les racines et la nature de la personnalité égyptienne", et d'exprimer le présent d'une manière détournée.
Mahfouz a écrit en 1939, son premier roman historique Abath al-aqdâr (Absurdité des destins) dont la traduction française porte le nom "La malédiction de Rê." Il s'ouvre sur "Kéops, fils de Khanum, le divin, le redoutable [qui] était assis sur son trône doré." Ce dernier est menacé en vertu d'une prédiction. Celle-ci annonce que le successeur du pharaon ne sera pas de sa descendance, mais de celle du grand prêtre de Rê d'Awn dont la femme a accouché d'un nouveau-né. Bien que le pharaon envoie ses hommes pour tuer ce dernier, il a échoué à échapper à la prédiction qui s'est réalisée après de nombreuses péripéties. Il est de toute évidence que Mahfouz est influencé par le Noble Coran, particulièrement l'histoire du Prophète Moïse.
Avec Kifah Tîba (Le combat de Thèbes), écrit en 1944, Mahfouz met en lumière la lutte des Egyptiens contre les Hyksos qui symbolisent pour nous, tous les ennemis dès les occupants anglais jusqu'à l'Etat hébreu. L'auteur y détermine les qualités nécessaires qui aident le roi ou le président à bien achever sa mission, garantir la souveraineté de son pays, attribuer justice et liberté à son peuple. Il présente ainsi l'espoir à ses compatriotes et demande à l'Egypte contemporaine d'évoquer la grandeur pharaonique.